mercredi 10 novembre 2010

Batcham: Un arrondissement qui vit sans ses chefs


Les chefs sont morts, vive le désordre
La mort subite du sous-préfet Eddy Joe Njinwa Muluh, le 29 septembre 2010 a été précédée par celle du chef supérieur Sonkoué Tatang Francis Hervé le 19 décembre 2010.
L’arrondissement de Batcham est à la recherche de ses chefs. Jamais une décision de justice, ni un texte portant nomination des sous-préfets n’ont été autant attendues dans cet arrondissement du département des Bamboutos.
C’est à l’issue d’une procédure judiciaire actuellement en cours que le chef supérieur pourra être désigné. Tout comme c’est un décret présidentiel qui mettra fin à la vacance à la tête de la sous-préfecture de Batcham.
Mercredi le 29 septembre 2010, le sous-préfet Eddy Joe Njinwa Muluh est décédé. Victime d’un malaise alors qu’il venait d’entamer sa journée de travail, il a été transporté pour l’hôpital baptiste de Bingo, situé à une vingtaine de kilomètres de Bamenda dans la région du Nord-Ouest. Trop tard cependant. Le sous-préfet n’a pas pu être sauvé. De source médicale, il est mort à la suite d’un malaise cardiaque.
Arrivé  à Batcham en provenance de Mamfé, dans la région voisine du Sud-Ouest, Eddy Joe Njinwa Muluh a remplacé Emile Mooh, le sous-préfet qui, le premier,  a géré le dossier de la mort du chef Batcham Sonkoue Tatang. Lors de la cérémonie de passation de commandement le nouveau sous-préfet avait reçu comme principale instruction du préfet du département des Bamboutos de peser de tout son poids pour que la lumière soit faite sur le dossier de la succession à la chefferie Batcham.
Il était question pour cet administrateur civil de 55 ans de faciliter le déroulement de la procédure judiciaire, en fournissant toutes les informations nécessaires à l’enquête, et de permettre aux notables compétents de préparer le processus de la désignation du prochain chef Batcham. Un dossier qui tardait à trouver une solution. Avec le décès du sous-préfet Njinwa Muluh,on imagine qu’il va prendre encore du retard.
Honoré Feukouo
L’adjoint d’arrondissement fait la navette
C’est de la préfecture de Mbouda que viennent désormais les instructions.
Après le décès du sous-préfet Eddy Joe Njinwa Muluh, le 29 septembre 2010, des scellés ont été posés à l’entrée du bureau qu’il occupait. La vie, toutefois, poursuit normalement son cours, même s’il faut attendre plus longtemps pour la signature de certains documents, par exemple. L’adjoint d’arrondissement actuellement en poste, qui assure plus ou moins l’intérim à la tête de l’arrondissement, ne peut pas signer tous les actes  dévolus au sous-préfet. Nous n’avons pas pu joindre l’adjoint d’arrondissement, malgré toutes nos tentatives et les différents rendez-vous qu’il nous a donnés.
Toutefois, d’après les informations que nous avons recueillies sur place, l’adjoint d’arrondissement se rend tôt chaque matin à Mbouda, où il soumet les dossiers courants au préfet du département. Les instructions du préfet sont transmises à ses collaborateurs les plus proches, qui à leur tour relayent l’information aux usagers.
HF
 
«Le collège des 9» gère la chefferie
C’est ce groupe de notables qui s’occupe des affaires courantes depuis le décès du chef.
De petits groupes gèrent, de manière provisoire, la chefferie Batcham depuis le décès du chef. Sur  le plan traditionnel, le collège des 9, selon une source bien introduite, assume l’intérim. Selon une source à la chefferie, il organise le travail des soldats du chef, chargés d’assurer la garde de la chefferie, et veille au respect des us et coutumes. C’est le cas, par exemple, pour l’organisation des sorties des danses traditionnelles.
La même source nous affirme que depuis le départ précipité de certaines épouses du défunt chef, ces gestionnaires ont également pour mission de veiller à ce que toutes les veuves du défunt chef ne désertent pas la chefferie.
Les projets de développement sont gérés par Paul Gabriel Ndemou, le président du comité de développement de Batcham, et Pierre Tchinda, le maire de la commune de Batcham.
Samuel  Dieudonné Ivaha Diboua le gouverneur de la région la région de l’Ouest, a précisé, lors de son dernier passage à Batcham, que la procédure de désignation du successeur du défunt chef, Francis Hervé Sonkoué Tatang, ne sera enclenchée qu’après que la justice aura donné son verdict. Le gouverneur répondait ainsi aux sollicitations de l’élite locale, qui constatait que le vide prolongé à la chefferie Batcham, contribuait fortement à l’instauration de l’insécurité dans cet arrondissement.
Tous les notables approchés sont confiants. Pour eux, le nouveau chef sera aussitôt désigné dès que le quitus de l’administration sera acquis. «Si nous avons pu surmonter les protestations et les contestations qui ont embrasé le groupement avant le choix de l’ancien chef, nous pouvons faire de même actuellement », nous confie, sous anonymat, l’un des membres du collège des 9, chargé de choisir le futur monarque des Batcham.
HF
 
Au tribunal : L’enquête sur la mort du chef suit son cours
Le successeur du défunt ne pourra être désigné qu’après le verdict.
L’affaire, qui est enrôlée au tribunal de grande instance de Mbouda, traîne. Six personnes, soupçonnées du meurtre de l’ancien chef de Batcham, ont été appréhendées au début de l’enquête. Certaines d’entre elles ont été relaxées entre-temps. Il s’agit, selon des sources proches de la justice, des veuves Adolence Beaudelaine Floriane Manang, Mathilde Nogning et de Samuel Yemsa, notable à la cour royale de Batcham.
Parmi ceux qui demeurent incarcérés à la prison de Mbouda, il y a  Simon Gnognem, le secrétaire du défunt chef,  Etienne Metino, dit Tamboué, qui officiait comme serviteur du chef à la cour royale de Batcham, et Aimée Kagou, la veuve chez qui le chef a rendu l’âme, dans la nuit du mardi 18 au mercredi 19 décembre 2007.
La thèse de l’assassinat par empoisonnement a en effet été plusieurs fois évoquée au lendemain du décès du Fô francis Hervé Sonkoué Tatang. Certains, certes, ont pensé que le chef avait rendu l’âme de manière naturelle, à la suite d’un choc cardiaque. D’autres ont même évoqué la thèse de la sorcellerie. Pour ces derniers, il était inexplicable que ce jeune et vigoureux chef, né en juillet 1971  et qui a accédé au trône le 29 avril 2001, meure d’une façon aussi subite. Les partisans de la thèse de l’empoisonnement ont été confortés dans leur position lorsque l’enquête policière a révélé que le défunt chef avait beaucoup vomi et perdu beaucoup de sang par les oreilles et les narines.
HF
 
L’insécurité fait son lit
Les agressions se sont multipliées depuis les décès du chef et du sous-préfet.
L’insécurité s’est installée à Batcham. Les bandits visitent en moyenne sept domiciles chaque par jour dans les quartiers Baleghang, Bangwang, Balatchwet, et Tsinlegong. Personne n’est épargné. Des églises aux centres de santé, en passant par les domiciles privés, les bandits frappent partout. Pendant leurs passages, ils prennent tout ce qui les intéresse et, souvent, violent les jeunes filles qu’ils trouvent sur les lieux.
Le traumatisme est encore présent chez Veuve Feungang Marthe lorsque nous y arrivons. Elle a reçu la visite de ces bandits à deux reprises. La première fois, le  5 septembre 2010, veille de la rentrée scolaire, et la deuxième fois, le 1er octobre 2010. Ce jour-là, les bandits, qui ont constaté que la maîtresse des lieux avait renforcé la porte principale de son domicile, ont creusé patiemment un trou dans le mur afin d’accéder à l’intérieur de la maison.
Chaque fois, la veuve a été dépouillée. Les sept brigands, d’après elle, étaient chaque fois les mêmes. Ils sont repartis après avoir violé successivement la maîtresse de maison et ses 4 filles. Pour éviter pareille mésaventure, elle a installé un matelas au plafond de sa maison. Dès 18h 30, elle invite ses filles à grimper au grenier. Elles emportent l’échelle qui leur permettra le lendemain de redescendre.
Dans les deux brigades de gendarmerie de Batcham, les gendarmes nous ont assuré qu’ils ont une liste des présumes brigands.  Le poste provisoire de Baleghang compte 4 gendarmes et la brigade de Batcham, située au centre de la ville compte une dizaine d’hommes. Un effectif insuffisant pour contrôler la population de Batcham, évaluée à  45 000 âmes.
Dans les autres quartiers de Batcham, les habitants, sous la conduite des chefs de quartiers, ont instauré un système d’autodéfense. Une action qui a déjà fait ses preuves au quartier Bangwang, où l’insécurité, d’après le chef de ce quartier, a reculé.  
Honoré Feukouo
 
Réactions
Révérend Tambe Essaïe, pasteur de l’église évangélique du Cameroun paroisse de Bamessang : « J’ai été agressé»  
Ce sont les torches qui m’ont réveillé. C’était dans la nuit du 2 au 3 octobre 2010. J’ai été surpris dans mon sommeil par des torches braquées sur mes yeux. Tout ce que j’ai remarqué c’était le bout d’une arme de fabrication traditionnelle posée sur ma joue. Les inconnus en face de moi m’ont demandé l’argent que j’avais. Ils ont insisté sur les sommes de la collette, donnant même des chiffres. Ils paraissaient bien renseignés. Je leur ai dit que je ne gardais rien chez moi. Ils ne m’ont pas cru. Ils ont fouillé la maison de fond en comble et ont emporté une somme de 180.000 Fcfa que je venais de retirer pour la scolarité des enfants. A la fin, ils ont choisi, parmi les livres, ceux qui étaient précieux et coûteux. Ils ont aussi emporté beaucoup d’autres choses. Je m’évertuais juste, pendant leur fouille, à les entraîner loin de la chambre où se trouvait mon épouse. Lorsqu’ils sont repartis en me promettant de revenir, j’ai constaté qu’il était 2h30 à ma montre.

Albert Kazé dit Mbeleng, chef du quartier Bangwang : «La mort du chef est la principale cause de l’insécurité»
C’est après la création du poste provisoire de Baleghang, il y a bientôt trois ans, que l’insécurité a pris des grandes proportions à Batcham. Il faut préciser que c’est presqu’à la même période que le vide s’est installé à la chefferie. Pour moi, c’est la mort du chef qui est la principale cause de l’insécurité. Après plusieurs coups au cours desquels les groupes de bandits volaient tout et violaient les femmes, nous avons cru bon de nous réunir au quartier pour nous défendre. Les populations ont adhéré à l’idée après la nuit du samedi 5 Septembre 2010. Cette nuit-là, les bandits ont opéré dans 11 domiciles au quartier Bangwang. Nous avons formé un comité de vigilance. Il y a des équipes qui surveillent le jour, et  d’autres qui veillent la nuit. Depuis que nous avons commencé à arrêter nous-mêmes ces bandits, ils ont cessé de venir dans le quartier. Ils se contentent d’opérer dans les quartiers voisins. Le seul problème pour nous c’est que les bandits que nous saisissons, même la main dans le sac, et que nous conduisons à la gendarmerie, se retrouvent en liberté le lendemain.
Propos recueillis par
 H F

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