Le mémorandum de la gouvernance locale
Décentralisation. L’union Européenne et ses partenaires estiment que le processus avance très lentement.
Elvis Tangwa Sa’a le secrétaire de l’Ong Knowledge For All (Kfa) est formel. «La gouvernance locale, pilier principal de la décentralisation qui est entré dans sa phase pratique au Cameroun depuis un an et demi, n’est pas bien appliquée sur le terrain.» Ce constat effectué par ce dernier qui a rédigé récemment un livre après étude, sur la pratique de la décentralisation dans la commune de Mbouda, a été appuyé par le travail présenté dans la salle des actes de la mairie de Mbouda, le mercredi 22 juin 2011, par un cabinet d’expertise qui vient de faire une étude scientifique sur le terrain. La restitution de ce travail réalisé dans les communes de Nkongsamba 1er dans le Littoral, Mbouda et Bangangté dans l’Ouest Cameroun, au cours de l’année 2010, a été présenté devant un public composé des maires, des représentants des préfets de ces trois arrondissements, ainsi que des responsables des services déconcentrés de l’Etat, acteurs de la société civile, partenaires au développement et autres citoyens.
Une restitution qui, a abouti à la rédaction d’un mémorandum. Selon Gilbert Soffo le chargé des programmes au sein de l’Ong Zenü Network, ce mémorandum est adressée principalement au ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation principal décideur en ce qui concerne la conduite de la décentralisation au Cameroun, et selon les objectifs visés dans le contenu, aux différentes couches de la société Camerounaise. Les citoyens qui doivent s’impliquer dans le processus de la décentralisation, en suivant comment se déroule et se gère les projets sur le terrain, les élus locaux qui doivent travailler en concertation et de manière participative avec les différentes couches de la population, les services déconcentrés de l’Etat qui doivent jouer leur rôle d’appui conseil et les opérateurs économiques. «Ce mémorandum, d’après Elvis Tangwa Sa’a, est un document d’expression de la volonté des citoyens pour poser un problème, pour suggérer une alternative, pour proposer des solutions»
Dans ce document qui comporte six grandes résolutions, il est question de «promouvoir la participation des populations bénéficiaires de l’action des communes, promouvoir la transparence, l’accès à l’information des populations dans la gestion des affaires publiques. Asseoir la redevabilité des uns et des autres, afin que la décentralisation devienne un concept harmonieux pour le développement durable dans la paix et l’acceptation de toutes les couches sociales.» Le préambule de ce document précise qu’il est question de prendre «Conscience que la promotion de la bonne gouvernance, du contrôle citoyen de l’action publique, de la culture de la paix, de la démocratie et des droits humains, sont des piliers pour un développement local participatif». Gibert Soffo qui est à la principale cheville ouvrière de la rédaction de ce mémorandum, précise: «Nous souhaitons comme résultat, que les acteurs qui ont participé à cette étude, puissent être des animateurs, des accompagnateurs où des facilitateurs pour permettre à ceux qui sont censés agir pour améliorer la situation, qu’ils le fassent en toute connaissance de cause.»
Constat triste
D’après l’étude réalisée et présentée sur le titre «état des lieux de la gouvernance locale» par Francis Albert Kamguem consultant en développement agrémenté par l’Union Européenne, il ressort un manque de collaboration criard sur le terrain. Les maires qui devaient travailler en concertation permanente avec les différentes couches de la population, reconnaissent qu’ils ne le font pas encore ainsi pour la majorité. D’après l’étude «60% des autorités traditionnelles déplorent dans ces municipalités, le manque de cadre formel d’échange et de concertation permanent.» Les services techniques des ministères représentés localement par les délégations départementales, ne sont pas mis à contribution par les communes dans leurs réalisations. Lorsque c’est le cas, ces services déconcentrés de l’Etat (Sde), tiennent à ce que leurs services soient rémunérés. L’expert qui présente cette étude réalisée sur le terrain, précise que les Sde, doivent logiquement apporter une assistance conseil, technique et pratique sur le terrain aux élus locaux, pour permettre aux mairies, de réaliser leurs projets de développement en conformité avec les différents objectifs dans lesquels sont engagés le Cameroun tel que le document stratégique pour la croissance et l’emploi (DSCE) ; le programme national de gouvernance (Png), les projets adoptés dans la feuille de route objectifs 2035 et les Objectifs du millénaire pour le développement (Omd).
L’autre sujet à problème, ce sont les opérateurs économiques qui se sentent généralement exclus des travaux de leurs municipalités, au profit des acteurs venant d’ailleurs et qui ne payent pas autant les impôts qu’eux. Francis Albert Kamguem constate que «75% des personnes interrogées sur le terrain, révèlent le faible respect des procédures de passation des marchés lors de la réalisation d’ouvrages». Un manque que l’amélioration de la gouvernance locale devrait contribuer à résoudre.
Honoré Feukouo
«Le mémorandum vis la participation de tous »
Gilbert Soffo. Chargé des programmes au Zenü Network il revient sur les objectifs visés par ce mémorandum qu’il a initié la rédaction
Pourquoi rédiger un mémorandum axé sur la bonne gouvernance dans le processus de décentralisation au Cameroun ?
Dans le cadre de l’étude du pilier gouvernance locale dans le processus de la décentralisation, il y a un certain nombre de faiblesse qui ont été relevés en matière de gouvernance locale dans les communes de Mbouda, Bangangté et Nkongsamba 1er. Les participants qui viennent des différentes couches sociales de ces communes du Cameroun, ont réfléchi au regard de ces faiblesses et au regard de cela, un document est établi pour consolider un peu toutes ces préoccupations. Ce mémorandum est une volonté des participants pour montrer leur intérêt, à ce qu’il y a à faire pour promouvoir la gouvernance locale au sein des communes. Ce mémorandum interpelle tous les citoyens et en premier lieu les détenteurs d’enjeux, ceux qui peuvent prendre une décision. En fonction des différents sujets, il peut être adressé au simple citoyen, il peut être adressé à la tutelle, à la commune, il peut aussi être adressé aux opérateurs économiques. Tout dépend de l’angle par lesquels les sujets sont abordés.
Quel est le contenu de ce mémorandum ?
De manière globale pour ce qui est de son contenu, les grands sujets sont concentrés dans le processus de planification et dans la gestion. En fonction des grands centres d’intérêts, il y a également trois dimensions. C’est dans la transparence et la légalité, le rôle des acteurs et leur efficacité, et puis il y a la participation des citoyens. Il reviendra donc à chaque commune de déterminer quelques variables sur lesquels elle pourra s’appesantir, pour chercher à améliorer la situation telle qu’elle a été décrite. En tant que animateur du processus, nous souhaitons comme résultat, que les acteurs qui ont participé à cette étude, puissent être des animateurs, des accompagnateurs où des facilitateurs pour permettre à ceux qui sont censés agir pour améliorer la situation, qu’ils le fassent en toute connaissance de cause.
Comment évaluez-vous l’évolution de la bonne gouvernance, de la gouvernance locale après quelques années de pratique de la décentralisation au Cameroun ?
Disons que la décentralisation est un processus qui doit se faire de manière progressive tel que disent les pouvoirs publics. Vous avez vu qu’en 2010 on a transféré neuf compétences et en 2011 on n’en a ajouté quatre. Ce qui fait 13 à ce jour. Le gouvernement a pris l’option de le faire de manière progressive, de manière successive. Vous êtes sans ignorer qu’il y a d’autres compétences qui sont en arrière plan et qui attendent. On ne peut donc pas évaluer avec toutes les données au niveau actuel des choses. Toutefois, en prenant en compte la gouvernance locale comme levier pour faire asseoir la décentralisation, nous pensons qu’une décentralisation ne peut être effective que si les cinq principes de la gouvernance sont appliqués.
Il y a d’abord la participation. Tous les citoyens doivent participer de l’initiation d’une décision, d’une politique jusqu'à son évaluation et son suivi en passant par sa mise en œuvre. Il y a également la transparence. Pour qu’il y ait une démocratie, pour qu’il y ait la paix, les citoyens doivent être au courant et savoir ce qui se passe conformément aux règles établies. Le troisième principe c’est la redevabilité. Ça veut dire que tous les citoyens et pas seulement l’institution communale, doivent apprendre à rendre compte et être capable de le faire. Une organisation de la société civile doit rendre compte aux membres. A travers des outils et des méthodes qu’ils mettent progressivement en place, la commune doit rendre compte de l’exécution de son programme annuel aux citoyens à travers le budget qui a été voté. Le quatrième principe c’est l’efficacité et l’efficience. Tout ce qui doit être fait devrait être réalisé en fonction d’un objectif qui a été établi. Il faut respecter cet objectif et le réaliser à un moindre coût de manière efficace et satisfaisante pour les populations. Il y a également l’équité qui est le cinquième principe. Il veut que sur l’espace territorial, tout ce qui se passe doit être reparti de manière équitable, de manière juste. Que tous les citoyens, puissent être impliqués. Mais également que toutes les familles d’acteurs puissent être bénéficiaires de toutes les actions. Que ce soient les femmes, les hommes, les enfants, les handicapés et toutes les couches vulnérables et marginalisées.
Propos recueillis par Honoré Feukouo
A votre avis
Comment appréciez- vous le processus de la gouvernance locale dans votre commune ?
Emmanuel Tchatchoua deuxième adjoint au maire de Bangangté
«Nous avons élaboré un budget participatif »
Dans le cadre de la décentralisation, nous avons déjà mis sur pied beaucoup d’initiatives. Pour ce qui est de la gouvernance locale, il y a le budget participatif qui est en place. Il a fallu la volonté du maire, de son conseil municipal et de la population. Nous sommes entrain de mettre sur pied le groupe de pilotage de l’observatoire de la bonne gouvernance locale au sein de notre mairie. La bonne gouvernance est véritablement pratique dans notre mairie.
Les conseillers vont dans les localités pour travailler en adéquation avec les habitants de cette localité.
Wadji premier adjoint au maire de Mbouda
«Notre souci est d’améliorer le cadre de vie »
La gouvernance est un ensemble de services. Comme notre souci a toujours été d’améliorer le cadre de vie de nos populations, je pense que nous assurons notre service, nous assurons à notre niveau la bonne gouvernance locale. Avec l’arrivée de Zenü Network, nous avons profité de leur formation, pour mieux asseoir la bonne gouvernance et impliquer tous les acteurs, ce que nous ne faisions pas avant. Il y a des cadres de concertation qui sont progressivement mis en place, pour faciliter les échanges entre le maire, son conseil municipal et les différentes couches de la population. Ils comprennent mieux pourquoi un tel projet est pour nous prioritaire à un tel autre, et donnent leurs avis sur les futurs projets prioritaires à réaliser en fonction des moyens disponibles au sein de la municipalité. Ce sont des mécanismes nouveaux qui font en sorte que la décentralisation prenne une ampleur nouvelle au sein de la commune de Mbouda.
Emmanuel Nzeté délégué du gouvernement auprès de la communauté urbaine de Bafoussam
«Nous travaillons avec les notables de la cité »
Nous appliquons ici ce qu’on appelle la gouvernance participative. Nous ne faisons rien dans tout le territoire de la communauté urbaine sans en discuter avec les notables de la ville. Je parle des commerçants, des chefs des communautés, des chefs des villages, des commerçants, des opérateurs économiques et de tous les autres. Lorsque nous engageons une réalisation, c’est pour le bien de tous et tous en sont convaincus avant. La fête de la propreté que nous organisons actuellement c’est un projet mûri avec la population pour faire en sorte que la ville de Bafoussam quitte de son statut de ville poubelle pour devenir Bafoussam la belle ? ce sont les citoyens qui vont travailler sur le terrain pour le réaliser.
Me Athanase Dakeyi notaire et secrétaire général de l’observatoire de la gouvernance locale dans la commune de Nkongsamba 1er.
«Il y a des avancées»
Si je me réfère aux communes de Nkongsamba 1er, Mbouda et Bangangté, des avancées sérieuses sont entrain d’être faites. Cette avancée est impulsée par la volonté de l’Etat, mais aussi par la volonté et l’appui des partenaires au développement, aux organisations de la société civile. L’amélioration doit porter sur le processus de planification et la gestion communale. Quand je me rends compte qu’a Nkongsamba nous sommes allés au point d’organiser un débat sur les politiques publiques lié à un secteur comme l’artisanat, d’animer une audience publique. Que des citoyens se soient retrouvés en face du maire, du préfet pour les interroger et je vous dis que ces gens ont transpiré devant les questions des citoyens qui n’avaient jamais imaginé se retrouver entrain d’interroger les autorités, il y a des pas franchis.
Je pense qu’il faut beaucoup communiquer. Il faut que l’action de l’Etat, l’action des communes, soit portée à l’attention des populations, que cela leur soit expliquée.
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